- Le mystère du Champ des morts à Glozel
Alexandra Gonzalez 18/08/10 à 07h39
Glozel, lieu-dit perdu en Auvergne, fut le théâtre d’une découverte extraordinaire, qui déclencha l’une des plus violentes controverses archéologiques de notre époque. Une écriture gravée sur des tablettes reste toujours mystérieuse à ce jour.
Glozel, charmant hameau reculé à une trentaine de kilomètres de Vichy, en Auvergne, ce ne sont que quelques maisons nichées au beau milieu de la montagne bourbonnaise. Ce lieu a pourtant failli ébranler les plus solides découvertes scientifiques concernant la naissance de l’écriture. Car dans les années 1920, une mystérieuse affaire y a défrayé la chronique. Tout commence un beau matin du 1er mars 1924, lorsque Emile Fradin, jeune paysan auvergnat de 17 ans, part avec son grand-père défricher un champ, le champ Duranton. Leur vache se coince soudain un sabot dans une cavité. En enlevant les pierres pour la dégager, stupéfaction : une fosse mortuaire apparaît, contenant des poteries, des ossements humains et même un crâne complet ! Croyant tomber sur un trésor, Emile et son grand-père se mettent à gratter fébrilement la terre. En vain. Ils laissent alors les lieux en l’état, puis rentrent chez eux. « Ma grand-mère, très croyante, s’est mise à hurler lorsque je lui ai dit qu’on avait trouvé un crâne : "Vous déterrez les morts ! Sortez de là !" », racontera par la suite le pauvre Emile, qui ne réalise alors pas encore l’ampleur de l’événement. « Je n’avais jamais entendu parler d’archéologie à ce moment-là, je ne savais même pas ce que c’était… »
Révélations bouleversantes
Dans les semaines qui suivent, les Fradin, accompagnés de notables de la région, reviennent dans le champ et continuent leurs fouilles. D’autres objets surgissent de terre, dont des tablettes en pierre gravées de signes étranges. Rebaptisé « le Champ des morts », le champ Duranton devient vite la curiosité du coin, chacun venant donner un coup de pelle dans l’espoir d’y trouver un trésor, détruisant parfois de précieux indices. Quelques mois plus tard, l’histoire parvient aux oreilles d’un médecin exerçant à Vichy, le Dr Morlet, un féru d’archéologie. En juillet 1925, il passe un accord par écrit avec les Fradin pour louer le Champ des morts et entreprendre de véritables fouilles professionnelles. Très vite, il réalise qu’il s’agit d’une découverte incroyable. Il ne fait aucun doute pour lui que les signes gravés sur certaines tablettes sont bien antérieurs aux premières traces d’écriture connues jusqu’alors : des hommes auraient mis en place en Europe un système d’écriture élaboré bien avant les Phéniciens en 1.600 av. J.-C. ! En quelques années, il va mettre à jour plus de 3.000 vestiges très variés et se battre pour Glozel.
Chasse à l’homme
« L’écriture serait-elle née en Occident et non en Orient ? », s’interroge-t-on alors dans les milieux intellectuels. La réponse de la communauté scientifique ne se fait pas attendre. Très rapidement, ils contestent l’authenticité du site. « Dites-moi la vérité : vous avez fabriqué une partie de ces choses-là hein ? Allez, je ne le dirai à personne… », lance un jour Denis Peyrony, conservateur de musée, au jeune Emile. La chasse au faussaire est lancée, chacun choisit son camp : les « glozéliens » contre les « antiglozéliens ». La presse se déchaîne et Glozel devient l’« affaire Dreyfus de l’archéologie ».
En 1929, le jeune paysan, qui est la cible de menaces anonymes et d’injures, est inculpé pour escroquerie suite à une plainte déposée par le président de la société d’archéologie, qui l’accuse d’avoir fabriqué ces tablettes et de les avoir enterrées. Des policiers fouillent la ferme pour découvrir l’hypothétique atelier du faussaire. Son courrier est ouvert, il est constamment surveillé. Deux ans plus tard, la procédure se solde par un non-lieu sans que le doute ne soit vraiment dissipé.
Une écriture toujours pas décryptée
A partir de 1941, les fouilles archéologiques ne sont plus possibles sans autorisation du ministère de la Culture. Tout s’arrête, le mystère reste alors toujours entier. « De quoi a-t-on peur ? », s’interroge-t-on chez les glozéliens, « d’ébranler des connaissances jusqu’à présent jugées indiscutables ? » En 1983, Jack Lang, alors ministre de la Culture, décide d’une nouvelle campagne de fouilles, sans que cela ne permette de trancher le débat. En 1999, un groupe de passionnés issus notamment du monde universitaire crée le Centre international d’études et de recherches sur Glozel. « Depuis trois mois, de nouvelles datations ont permis d’avancer énormément », nous explique René Germain, directeur du Centre. « Il n’y a plus de controverse sur l’écriture, qui est bien née au Moyen-Orient. Les signes tracés sur les tablettes d’argile sont datés de l’époque de l’argile, soit une fourchette allant de 400 av. J.-C. à 400 ap. J.-C., et sont d’origine méditerranéenne. Quant aux ossements, certains ont donné une datation de 17.000 av. J.-C., d'autres, dont ceux gravés de rennes, datent plutôt de l’époque médiévale, et sont d’origine nordique. On n’en connaît pas la provenance, et à ce jour, on ne dispose toujours pas d’éléments suffisants pour tirer des conclusions. »
Mais l’écriture, elle, reste toujours mystérieuse. « Un épigraphiste qui travaille avec nous a pu déchiffrer quelques mots, mais cela n’a pas permis une lecture complète. » Curieusement, le Conseil national de recherche archéologique, la plus haute instance en France, est encore hermétique à Glozel, selon René Germain. Pourquoi ? Il n’y a pourtant à ce jour toujours aucune preuve de falsification des objets… Quant à Emile Fradin, pour qui Glozel a été le combat d’une vie, le fin mot de l’histoire lui restera à jamais inconnu. Il s’est éteint en février, à l’âge de 103 ans.
texte recueilli et écrit par le journal france-soir !!!